Rapports de durabilité

CSRD, l’extra financier à l’heure des comptes

Publié le 3 janvier 2024 à 15h12

Mehdi ElAouni    Temps de lecture 8 minutes

La nouvelle année coïncide avec l’entrée en vigueur de la «corporate sustainability reporting directive» (CSRD) qui concerne près de 50 000 entreprises européennes. Un défi majeur, y compris pour les assureurs.

La première vague de publications suite à la CSRD est prévue pour 2025 mais sur la base des données de l’année qui s’ouvre, pour les entreprises déjà soumises à la NFRD (Non Financial Reporting Directive) et publiant la DPEF (déclaration annuelle de performance extra-financière). Les entreprises non concernées ont une année supplémentaire pour se mettre en ordre de marche. La directive CSRD est orientée vers la standardisation et l’auditabilité des données et indicateurs ESG. Quel est le niveau de préparation des assureurs français à cette directive et comment orchestrent-ils l’ensemble des procédures liées à la collecte et à l’amélioration de la qualité des données qu’ils auront à présenter ? La NFRD ciblait uniquement les grandes entreprises de plus de 500 salariés, tandis que la CSRD étend son champ d’application en englobant les entreprises réunissant au moins deux des seuils suivants : plus de 250 salariés, un bilan de 25 M€, ou un chiffre d’affaires de 50 M€. Ainsi, le seuil de l’effectif n’est plus le seul déterminant.

ESRS

La portée de la CSRD comprend un grand nombre d’entreprises d’assurance, et à terme, elle entraînera les PME du secteur, à l’exception des microentreprises, à adopter des rapports de durabilité. En effet, à partir de 2026, les PME cotées en Bourse qui remplissent deux des trois critères que sont le seuil de plus de 50 salariés, celui d’un bilan supérieur à 4 M€ et un chiffre d’affaires de plus de 8 M€, seront également soumises à la directive. « Certains de ces petits acteurs ne feront jamais partie de la CSRD. C’est pourquoi le conseiller de la Commission européenne, l’Efrag, travaille sur des normes volontaires pour les PME afin de les aider à fournir les bonnes données », avance Philippe Angelis, manager CSRD chez Insurance Europe. La disponibilité des données est cruciale pour les assureurs. Pour rendre compte de l’intégralité de leur chaîne de valeur, il leur faudra solliciter leurs plus petits fournisseurs. « Le champ d’application s’est élargi et conduit à quintupler le nombre d’entreprises concernées au niveau européen et en France. À l’avenir, les assureurs vont avoir besoin d’informations pour leur propre reporting de taxonomie sur les investissements durables et la souscription non-vie. Même pour les entreprises n’ayant pas d’obligation de produire un rapport de durabilité, le calcul de certains indicateurs deviendra nécessaire pour répondre aux exigences de leurs financeurs, investisseurs, voire du marché », pointe Anne-Marie Jolys Bris, directrice exécutive, BM&A. Contrairement à la NFRD, la CSRD inclura les têtes de groupe non cotées, telles que les mutuelles et les IP, bien qu’elles disposent de comptes combinés plutôt que de comptes consolidés.

Les mesures d’application ESRS (European Sustainability Reporting Standard), socle de la CSRD, comptent plus de 200 indicateurs, dont plus de 60 sont de nature narrative et plus de 26 relèvent du semi-narratif. L’introduction de données non financières ajoute une dimension « exotique », nécessitant un travail de préparation et de tri. Des données purement opérationnelles, moins conventionnelles dans leur collecte et leur qualification que les données comptables. L’établissement de critères objectifs, en vue d’être audité comme le prévoit la directive, exige de prouver ses dires. « C’est un processus de rationalisation et de délimitation des périmètres prioritaires, soulignant l’importance de la matrice de double matérialité comme première étape dans la préparation à la CSRD pour identifier les enjeux majeurs, tant internes qu’externes », explique Anny Serero, directrice assurance et protection sociale de TNP Consultants.

Double matérialité

« Il s’agit là de la pierre angulaire de la CSRD, car une des premières étapes fondamentales du rapport de durabilité d’une entreprise consiste à effectuer une évaluation de la matérialité, à comprendre ce dont il faut rendre compte avant de commencer à tout mettre en place », précise Philippe Angelis, Insurance Europe. L’un des points clés pour les assureurs réside dans la nécessité de quantifier l’impact environnemental, spécifiquement en ce qui concerne l’analyse de la chaîne de gestion des sinistres en assurance non-vie. Parallèlement, ils doivent évaluer les répercussions sociales en interne mais aussi pour les employés indirects, notamment ceux des fournisseurs et prestataires. La CSRD dépasse la seule évaluation en sondant comment l’entreprise influence son environnement et inversement. « Les entreprises doivent reporter l’impact des éléments environnementaux et sociaux sur leur équilibre financier. Le concept de double matérialité promu par l’UE, qui porte bien son nom, ajoute aussi à cette notion l’impact que peut avoir l’activité de l’entreprise sur l’environnement », explique Éric Jeanne, senior advisor chez BM&A. En France, ce travail de reporting devrait faciliter la mesure des risques climatiques dans les régions les plus affectées. « La double matérialité n’est pas acquise, les sociétés d’assurance intègrent aujourd’hui les risques en matière de durabilité dans leurs cartographies mais précisent peu les modalités et les modes d’actions dont les conséquences permettront une évolution positive », affirme Vincent Andrieu, associé chez Adequation Advisory. Il devient essentiel de valoriser les méthodologies de cartographie des risques traditionnellement utilisées par les assureurs. Car ces éléments auront un impact significatif sur les modèles utilisés par les assureurs depuis la gestion d’actifs et des investissements jusqu’à la durabilité de la distribution des produits, y compris les aspects liés au devoir de conseil, en passant par les processus de gestion, de souscription et de tarification en amont.

Qualité des données

« Il est impératif d’avoir un suivi dans le temps, en maintenant une permanence des méthodes, afin d’éviter des fluctuations d’indicateurs et de prévenir tout changement brusque dans les méthodes d’évaluation d’une année sur l’autre », conseille Vincent Andrieu. Le défi majeur pour les assureurs réside dans la sélection des indicateurs, en évitant les variations d’un exercice à l’autre. Les principes de qualité des données, présents dans la communication financière, s’appliqueront de manière équivalente dans le cadre de la communication extra-financière. « L’objectif est de pouvoir communiquer d’un seul tenant le reporting financier et le reporting extra-financier. Un des enjeux majeurs de la CSRD est de rapprocher davantage les deux. Pour ça, il va falloir monétiser certains indicateurs en matière de durabilité pour concrétiser les impacts », ajoute-t-il.

La CSRD introduit dès l’origine des pistes d’amélioration. Une mise en œuvre parfaite dès sa première année semble peu réaliste. Le rapport de durabilité est destiné à devenir la référence en matière d’enjeux ESG, se distinguant des rapports RSE et de la DPEF par une meilleure harmonisation des pratiques ainsi qu’une amélioration de la qualité et de la fiabilité des données. Cette réglementation préconise surtout de dépasser les impacts à court terme et d’adopter une perspective étendue, incluant des projections à moyen et long terme.

2 questions à Philippe Angelis, Manager CSRD chez Insurance Europe

« L’un des avantages de la CSRD est qu’elle va normaliser les données sur la durabilité »

Quelle est la spécificité des données rapportées dans le cadre de cette directive ?

Dans les rapports de durabilité, il y a des données quantitatives mais la majorité des données sont en fait des points qualitatifs. Aujourd’hui, les données sur la durabilité ne sont pas rapportées de la même manière. L’un des avantages de la CSRD est qu’elle va les normaliser. Avec la plus grande standardisation des données et le fait qu’un grand nombre d’entreprises soient soumises à la CSRD, en fin de compte, cela rendra également ces informations beaucoup plus lisibles. À terme, ces informations seront également disponibles de manière digitale sous le projet ESAP (European Single Access Point), la plate-forme qui sera mise en place pour rendre les données ESG disponibles pour tous.

Quels sont les principaux défis pour l’application de la CSRD ?

Le reporting financier existe depuis plus de deux siècles, donc tout le monde comprend ce qu’est une provision, les principes comptables qui sous-tendent les bénéfices, ou ce qu’est le chiffre d’affaires. Ici, nous parlons de tout nouveaux concepts, et le premier défi sera donc de comprendre les exigences légales. L’autre grand défi est bien sûr, une fois que vous avez compris les exigences légales, de trouver les talents appropriés, car il y a maintenant 11 000 entreprises qui vont devoir rendre des comptes, de sorte que tout le monde cherche les mêmes conseillers et les mêmes experts. Le troisième défi est celui des technologies de l’information. Sous NFRD, nous ne disposions pas d’un cadre très strict pour la communication des données de développement durable, mais nous l’avons maintenant. Nous savons comment ces informations doivent être fournies et nous savons comment elles sont censées être obtenues. Cela signifie que les entreprises doivent développer des infrastructures informatiques pour collecter, agréger et communiquer les données. Dix-huit mois pour mettre en œuvre de telles normes est également un grand défi.

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