Mathieu Daubin, président du Groupement d’assurances des risques exceptionnels (Garex)

« La pérennité du transport maritime passe par la gestion des risques et des opportunités du numérique »

Publié le 21 décembre 2023 à 9h00

Louis Guarino    Temps de lecture 4 minutes

Guerre en Ukraine et corridor céréalier, préconisations de la conférence de l’IUMI (Union internationale de l’assurance maritime)... Dans un environnement commercial volatil et fragmenté, Mathieu Daubin, le président du Garex, décrypte les tendances de l'assurance maritime dans un cycle de « remondialisation ».

Le conflit en Ukraine s’est inscrit dans la durée depuis février 2022. Quel bilan d’étape faites-vous ?

Le conflit a exacerbé les difficultés d’approvisionnement, l’engorgement des ports et la crise des équipages déclenchées par la pandémie de Covid-19. Il a, par ailleurs, confirmé la baisse du dynamisme du commerce mondial dont l’impact sur les volumes assurés transport est sensible. Le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) s’alarment d’un commerce de plus en plus fragmenté. Certains parlent de « friendshoring » (1), la Banque mondiale parle de « remondialisation » et non pas de « démondialisation ». Aujourd’hui, un peu moins de 50 navires sont toujours bloqués entre Kherson et Mykolaïv (la partie orientale de l’Ukraine). C’est un point de difficultés pour les armateurs et les assureurs.

Nous constatons, aussi, une augmentation du risque cyber liée aux nouvelles formes de confrontations « hybrides » entre États. C’est un point de vigilance même si les polices d’assurance marine excluent ce type de risque. En tant que partenaire, les assureurs doivent être prêts à protéger leurs clients et nous soutenons les armateurs dans cet environnement complexe et incertain.

Qu’en est-il de la couverture des navires transportant des cargaisons ukrainiennes au regard de la création du corridor céréalier initial ?

Les assureurs maritimes ont, en effet, soutenu la mise en place d’un corridor alimentaire avec l’implication de la Turquie afin, d’une part, de soutenir la mise en œuvre d'un processus de coopération entre l’Ukraine et la Russie et, d’autre part, d’éviter une extension du conflit qui aurait pu s’étendre à la mer Noire. Les nouvelles dispositions prises par les autorités ukrainiennes pour constituer un corridor de navigation parallèle dans leurs eaux territoriales sont unilatérales. Jusqu’au 17 juillet 2023, 1•000 navires ont pu sortir de la mer Noire, permettant l’exportation de 33 millions de tonnes de grains. Cela a été le fruit d’un accord international, en coopération avec des armateurs et des assureurs. À partir du moment où les Russes ont décidé de sortir de cet accord et ont annoncé que tout navire susceptible d’emprunter le corridor pourrait être une cible, les assureurs ont changé de position.

Qu'en est-il actuellement dans cette zone géographique ?

Certains navires ont certes pu sortir fin août 2023, notamment le porte-conteneurs allemand Joseph Schulte, battant pavillon de Hong-Kong, mais nous estimons que la sécurité de ce nouveau corridor reste incertaine. Une incertitude qui s’est confirmée depuis, alors que le vraquier Kmax Ruler, battant pavillon libérien, a été endommagé par une frappe de missile dans la région d’Odessa. Face à une telle situation, les assureurs maritimes doivent comprendre les mesures mises en œuvre par les autorités ukrainiennes pour garantir la sécurité de ces expéditions.

Quelles sont les principales conclusions de la conférence annuelle de l’IUMI organisée à Edimbourg en septembre ?

Le secteur de l’assurance maritime est aujourd’hui en meilleure santé grâce à un redressement qui s’opère progressivement depuis trois ans, après près de dix années de déficit technique. La prime mondiale s’établit à 35,8 Md$ en 2022, en hausse de 8,3 % par rapport à 2021 (2). La conférence a réuni 750 personnes et abordé 4 thèmes principaux : l’économie, la géopolitique, les sinistres et la technologie. Dans un environnement commercial déjà volatil et difficile, les acteurs du transport maritime sont dorénavant confrontés à des questions extrêmement complexes telles que le changement climatique, la numérisation et l’émergence de nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle. Il ne s’agit pas de défis à court terme. La capacité des armateurs à gérer les risques et les opportunités de la transformation numérique sera la clé de leur pérennité. En tant qu’assureurs, nous partageons ces mêmes enjeux. Comprendre l’impact de ces défis sur les expositions de nos clients impose une collaboration étroite afin de répondre à leurs besoins en matière de gestion des risques et de développement de solutions pertinentes.

(1) Acte de fabriquer et de s’approvisionner auprès de pays alliés géopolitiques.

(2)

Ventilation des chiffres d’affaires par zones géographiques : Europe 47.7 % ; Asie/Pacifique 28.4 % ; Amérique Latine 10.3 % ; Amérique du Nord 8.5 % ; Autres 5.1 %.  (Source IUMI : iumi.com/statistics/public-statistics)

Dépêches

Chargement en cours...

Dans la même rubrique

« Il est peu vraisemblable qu’une seule partie soit responsabilisée à 100 % »

Bertrand Faurisson, directeur du département corps, P&I et risques de constructions maritimes du...

Les Français moins méfiants face à l’IA dans l’assurance

Guidewire publie la cinquième édition de son étude sur les habitudes, les pratiques et la perception...

« Assuréa devient un véritable courtier multispécialiste »

Entretien avec Frédéric Guez, président d’Assuréa. Les courtiers grossistes Assuréa (spécialiste de...

Voir plus

Chargement en cours...

Chargement…