Emeute et mouvement populaire

Les violences urbaines sont-elles garanties ?

Publié le 3 juillet 2023 à 16h00

Frederique Bannes Philip    Temps de lecture 7 minutes

Retour avec FB Conseil sur les événements populaires de ces derniers jours. Les assureurs seront-ils au rendez-vous de l'indemnisation des dommages subis dans le cadre des violences urbaines consécutives au décès à Nanterre d'un adolescent de 17 ans après l'intervention des forces de l'ordre?

Frédérique Bannes Philip, avocate au Barreau de Paris, cabinet FB Conseil

Les entreprises françaises qui subissent des destructions du fait des événements actuels seront-elles assurées par leur garantie dommages aux biens ? Au sens de l’article L.121-8 du Code des assurances, l'assureur ne répond pas, sauf convention contraire, des pertes et dommages occasionnés soit par la guerre étrangère, soit par la guerre civile, soit par des émeutes ou par des mouvements populaires. Mais de quoi parlons-nous ? Un rappel des définitions s’impose.

Les notions d’émeute et de mouvement populaire supposent une grave perturbation de l’ordre intérieur. Le législateur ne fournit pourtant aucune définition de ces notions. L’émeute est définie par une « explosion de violence, une agitation populaire, le plus souvent spontanée » (1) ou comme « un mouvement séditieux accompagné de violences et dirigé contre l’autorité en vue d’obtenir la satisfaction de certaines revendications d’ordre politique ou social » (2). Une émeute implique dans ce cas un but contestataire et des revendications politiques ou sociales des manifestants. Cela concerne peut être une frange de manifestants politisés, mais les jeunes pilleurs de magasins de sport et de téléphonie en font ils partie ? On peut sérieusement en douter.

Le mouvement populaire est un terme générique aux contours imprécis qui a pu être défini largement comme « tout mouvement spontané ou concerté, d’une foule désordonnée causant des dommages » (3). La guerre civile oppose les citoyens d’un même État, ce qui n’est pas encore le cas en l’espèce.

Ces concepts diffèrent encore de l’insurrection qui consiste en « l’action de s’insurger, d'un soulèvement contre un pouvoir établi, une autorité » ce qui là encore nécessite une revendication politique, et du vandalisme défini tantôt comme « une conduite, un état d’esprit de ceux qui détruisent des monuments, des oeuvres d’art » (Dictionnaire de l’Académie française), tantôt dans certains contrats d’assurance comme une « détérioration ou destruction mobilière et immobilière n'ayant pas le vol pour objet, commise à l'intérieur des locaux ». En l’espèce, les pillages à répétition ne rentreraient donc pas dans cette définition. Enfin, le sabotage est défini comme un « acte qui a pour but de détériorer ou de détruire intentionnellement du matériel, des installations ». (4)

Il appartiendra donc d’une part à l’assureur qui souhaite invoquer une clause d’exclusion de démontrer l’existence d’une émeute ou d’un mouvement populaire ce qui n’est pas d’une totale évidence, et d’autre part, en cas de contestation par les assurés d’un rejet de garantie, il reviendra au juge de qualifier les circonstances de faits pour chaque cas présenté.

Dans des arrêts rendus en 2012 (5), la Cour de cassation a affirmé la nature légale de l’exclusion de garantie prévue par l’article L.121-8 du Code des assurances, ainsi que son caractère impératif, sauf clause contraire. Elle ne s’est néanmoins pas prononcée sur la définition de l’émeute ou du mouvement populaire susceptible de mettre en oeuvre l’exclusion de garantie.

L’arrêt du 17/11/2016 de la Cour de cassation (6) s’il précise que l’absence de spontanéité ne suffit pas à écarter la qualification d’émeute ou de mouvement populaire, n’indique pas pour autant les critères nécessaires pour qualifier une situation d’émeute ou de mouvement populaire. Or, la qualification des faits revêt une importance majeure en ce qu’elle conditionne l’application ou le rejet de l’exclusion légale de garantie organisée à l’article L.121-8 du Code des assurances.

Certaines garanties d’assurance prévoient une annexe garantie des dommages matériels, des dommages immatériels consécutifs (remboursement des frais et pertes consécutifs autres que les pertes d’exploitation si leur assurance est prévue au contrat) et pertes d’exploitation en cas d’émeutes, de mouvements populaires, d’actes de sabotage et d’actes de vandalisme. Toutefois, ces garanties annexes excluent les dommages de vandalisme autres que ceux d’incendie ou d’explosion, commis à l’extérieur.

La garantie d’assurance n’est donc pas acquise pour les entreprises, loin s’en faut. En tout état de cause, il convient d’être prudent et de procéder avec des experts à une analyse au cas par cas des clauses contractuelles au regard des circonstances de faits.

(1) Dictionnaire de l’Académie française

(2) Lambert-Faivre Y. et Leveneur L., Droit des assurances, 13e éd., 2011, Paris, Dalloz, coll. précis, n° 356.

(3) Lambert-Faivre Y. et Leveneur L., préc., 13e éd., 2011, Paris, Dalloz, coll. précis, n° 356.

(4) Dictionnaire de l’Académie française

(5) Cass. 2e civ., 22 nov. 2012, nos 11-19524 et 11-19523 ; Cass. 2e civ., 13 déc. 2012, n° 11-19619

(6) Cass. 2e civ., 17 nov. 2016, no 15-24116

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