Florence Lustman, présidente, et Franck Le Vallois, directeur général de France assureurs

« La transférabilité de l'épargne d'un assureur à l'autre est une idée dangereuse »

Publié le 2 mars 2023 à 9h00

Nessim Ben Gharbia

Quelques jours avant la présentation du bilan 2022 de la profession, le binôme à la tête de France assureurs répond à La Tribune de l’assurance sur les nombreux enjeux 2023 du secteur (retrouvez l’intégralité de cet entretien dans notre numéro de mars).

Quel bilan dressez-vous de l’exercice passé ?

Florence Lustman : 2022 a constitué une année particulière pour les Français et les assureurs. Le conflit russo-ukrainien a conduit au déclenchement de nouvelles sanctions financières contre la Russie. C’est un exercice auquel nous sommes désormais bien rodés mais qui a nécessité, comme chaque fois, la mise en place d’une logistique et de processus rigoureux. En parallèle, nous avons adopté un ensemble de mesures de soutien aux réfugiés ukrainiens. L’année a également été marquée par une forte reprise de l’inflation. Nous nous sommes mobilisés pour soutenir nos assurés confrontés à cette hausse des prix généralisée en annonçant en septembre dernier un « pack anti-inflation ». Enfin, 2022 a été une annus horribilis sur le front des événements climatiques : le coût total des sinistres liés au climat a atteint 10 Md€. C’est trois fois plus qu’au cours des cinq dernières années, durant lesquelles la facture annuelle s’élevait en moyenne à 3,5 Md€. Rappelons que dans les années 1980, cette « facture climatique » n’était que légèrement supérieure au milliard d’euros par an.

Et sur le plan de l’épargne-vie ?

Florence Lustman : Sur l’ensemble de l’exercice 2022, les cotisations s’établissent à 144,4 Md€, en baisse de 3 % par rapport à 2021. Après une année de rattrapage, les cotisations retrouvent en 2022 leur niveau d’avant la crise pandémique avec 144,4 Md€ de cotisations (144,6 Md€ en 2019). La part des unités de comptes (UC) dans les cotisations s’établit à 40 % sur l’année, après 39 % en 2021. Les prestations s’établissent à 130,1 Md€, en hausse de 3 %. En conséquence, la collecte nette s’établit à +14,3 Md€, dont +34,6 Md€ en UC, et une décollecte de 20,3 Md€ des fonds euros. À fin décembre 2022, les encours des contrats d’assurance vie s’établissent à 1 842 Md€. La répartition fonds euros/UC dans les cotisations, d’environ 60 /40%, illustre le fait que les Français, tout en recherchant avant tout la sécurité, vont maintenant vers plus de diversification.

Quelles sont les perspectives 2023 pour l’assurance vie ?

Florence Lustman : L’assurance vie va profiter de la hausse des taux. Nous renouons avec des conditions macroéconomiques plus « normales » avec la fin des taux négatifs. Le rendement de l’actif des assureurs va remonter. Cette nouvelle donne va contribuer à refermer la « trappe à liquidités » qui s’était créée dans un environnement de taux négatifs.

Quels constats faites-vous du fonctionnement du marché de l’assurance vie ?

Florence Lustman : 2022 a été une année très ambitieuse sur le plan de la transparence, de la fluidité et de la lisibilité des contrats. Nous travaillons activement sur ces thématiques depuis la loi Pacte : accord de Place de février 2022 sur la transparence et la lisibilité des frais, tableau standardisé, aujourd’hui rempli par tous les assureurs, qui permet à l’assuré de comparer facilement les frais entre plusieurs offres du marché, frais des UC, fluidification du processus de transfert des contrats intra-entreprise. Plus globalement, nous sommes favorables à la transparence en matière de rémunération des intermédiaires. Nous n’avons pas d’état d’âme sur ce sujet.

Que vous inspire le vote du Sénat qui propose d’autoriser le transfert interentreprises des contrats vie ?

Florence Lustman : Les sommes en jeu sont colossales : plus de 61% des actifs détenus par les assureurs vie via le fonds euros sont investis dans les entreprises. Nous devons donc trouver collectivement le juste équilibre entre protection des consommateurs et capacité de l’assurance à financer l’économie productive. La fiscalité incitative de l’assurance vie est depuis des décennies la clé de voûte qui en fait une épargne de long terme. La transférabilité de l’épargne d’un assureur à l’autre sans aucune incidence fiscale est une idée dangereuse. L’horizon de placement va se réduire, conduisant les assureurs à réorienter leurs investissements vers des actifs de plus court terme et moins risqués, au détriment du financement de l’économie productive, mais aussi des épargnants. En effet, investir dans des actifs plus courts et moins risqués, c’est pénaliser le rendement du fonds euros et donc les taux servis.

Où en est le plan de transformation de France assureurs ?

Franck Le Vallois : Ce plan fait suite à une année 2021 difficile, pendant laquelle l’image de l’assurance a été abîmée dans un contexte d’attentes fortes de la part des Français. Les membres de la fédération estimaient nécessaire d’aller plus loin en termes de communication grand public et d’anticipation des sujets pour prendre davantage part au débat public. Deux ans plus tard, nous avons concrétisé notre ambition visant à faire pivoter France assureurs d’une institution défendant de manière technique les intérêts du secteur à un acteur du débat public chargé de promouvoir l’assurance.

Nous agissons sur plusieurs leviers : la communication, l’influence et l’organisation. En 2022, le changement de nom a vite été adopté et la refonte du site web nous a permis de dépasser la barre symbolique des 2 millions de visiteurs, en progression de 7 % sur un an. L’année 2022 a également été marquée par la publication de six livres blancs et d’une douzaine de notes de position, notamment dans le cadre des échéances électorales, une façon de porter la voix de l’assurance. Nous nous sommes aussi réorganisés pour instaurer davantage d’interactions et de jeu collectif entre les équipes grâce à un fonctionnement matriciel. Nous avons créé de nouvelles instances comme le conseil des directeurs de la communication et le conseil des affaires publiques, tout en implémentant des outils collaboratifs.

Quels sont vos objectifs pour la fédération cette année ?

Franck Le Vallois : Parmi nos projets figure le renforcement de la communication à destination de nos adhérents. Cela passe par la rénovation de notre extranet pour permettre de partager en temps réel les travaux de la fédération. Nous continuons également de développer des webinaires mensuels sur des sujets transversaux tels que le risque cyber ou la durabilité. Sur le volet de l’influence, notre volonté est de renforcer nos interactions avec les élus locaux sur tout le territoire et d’élargir notre audience cible. Dans les semaines à venir, nous allons déménager : c’est une opportunité pour opérer des changements dans nos méthodes de travail. Les espaces de travail seront décloisonnés, plus ouverts, pour faciliter les interactions entre les équipes. Nous nous sommes d’ailleurs inspirés de ce que font un grand nombre de nos membres. L’objectif pour 2023 est d’ancrer durablement la transformation de la fédération au service de tous nos membres.

Quelle est votre vision du risque sécheresse et du phénomène de subsidence ?

Florence Lustman : France assureurs se réjouit que l’ordonnance maintienne l’indemnisation des dommages liés au phénomène de retrait et gonflement des sols argileux dans le régime d’assurance des catastrophes naturelles. La mutualisation de ce risque climatique entre tous les assurés, quelle que soit la région où ils habitent et leur niveau d’exposition à la sécheresse, est indispensable pour pouvoir continuer à indemniser les victimes de ce phénomène. En effet, le phénomène de retrait-gonflement des argiles va coûter de plus en en plus cher dans les années à venir : d’ici 2050, le coût des indemnisations liées à la sécheresse pourrait tripler par rapport aux trente dernières années. D’autre part, France assureurs salue la disposition de cette ordonnance consistant à s’assurer que l’indemnité versée par l’assureur serve effectivement à réaliser les travaux de réparation de l’habitation sinistrée.

Une circulaire administrative prévoira par ailleurs d’élargir sensiblement les critères de reconnaissance actuels de l’état de catastrophe naturelle lié à la sécheresse en y incluant notamment les « communes adjacentes » aux communes reconnues, ainsi que le critère de « succession anormale de sécheresses d’ampleur significative ». Cette disposition élargira le périmètre d’intervention de l’assurance à des cas de figure pouvant générer de l’incompréhension chez les sinistrés qui, au regard de la loi, ne pouvaient pas bénéficier du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles.

Pensez-vous que la loi Lopmi contribuera au développement de l’assurance cyber ?

Florence Lustman : Nous avons accueilli très favorablement cette loi d’orientation. Elle va clarifier la question de l’assurabilité des rançons. Et le fait d’imposer le dépôt de plainte sous soixante-douze heures est positif. Cela va contribuer à une meilleure connaissance de ce risque émergent protéiforme, avec une dimension technologique et en permanente évolution.

Votre appel à davantage d’homogénéité réglementaire de la durabilité est-il entendu ?

Florence Lustman : Nous soutenons l’objectif de construire une économie durable. Ce qui nous préoccupe le plus, c’est l’avalanche actuelle de textes réglementaires européens qui ne sont pas toujours coordonnés ni cohérents entre eux. Nous demandons aux parlementaires européens d’être vigilants quant à la cohérence de toutes ces réglementations en cours d’élaboration. Il faut pour cela qu’ils adoptent une vision à 360° des enjeux du secteur, de la gestion d’actifs à la gestion des sinistres.

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