Romain Bouvet, avocat associé, Cabinet Ledoux & associés

« Les tiers payeurs sont en première ligne »

Publié le 19 janvier 2023 à 9h00

Louis Guarino    Temps de lecture 4 minutes

La Cour de cassation s’est réunie le 9 décembre en audience d’assemblée plénière afin d’examiner l’ampleur de l’indemnisation qui peut être accordée aux victimes de maladies professionnelles lorsque la faute inexcusable de l’employeur est reconnue. Romain Bouvet, avocat associé auprès du cabinet Ledoux & associés, décrypte les enjeux de la jurisprudence de la Cour de cassation et les retombées potentielles pour les tiers-payeurs et les assureurs dans l’arrêt qui sera rendu le 20 janvier 2023.

Quels étaient les enjeux de l’audience de la Cour de cassation réunie en assemblée plénière le 9 décembre pour les salariés victimes de maladies professionnelles ?

La Cour de cassation s’est réunie afin d’examiner deux affaires et tenter de répondre à deux questions. Lorsqu’un salarié est victime d’une maladie professionnelle et que la faute inexcusable de l’employeur est reconnue, quels sont les préjudices qui sont indemnisés par la rente prévue par le Code de la sécurité sociale ? Le salarié victime, ou ses ayants droits, peut-il prétendre, au titre des souffrances endurées, au-delà du versement de la rente, à une réparation complémentaire ?

La jurisprudence actuelle de la Cour de cassation considère que la rente accident du travail /maladie professionnelle a une nature hybride (économique et personnelle). Aujourd’hui, les magistrats sont amenés à diminuer voire à rejeter les demandes d’indemnisation au motif que les souffrances physiques et morales le sont déjà par le biais de la rente. Les faits exposés le 9 décembre en audience sont relatifs à deux salariés décédés d’un cancer du poumon après avoir inhalé des poussières d’amiante dans le cadre de leur activité professionnelle. Après le décès de ces salariés, leurs ayants droits ont saisi la juridiction de sécurité sociale. Dans chacune des deux affaires, les cours d’appel ont reconnu la faute inexcusable de l’employeur. Dans la première, la cour d’appel a considéré qu’une rente devait être versée à la victime d’une maladie professionnelle comme le prévoit le Code de la sécurité sociale (article 452-3) mais aussi que les souffrances physiques et morales endurées par le malade constituaient un préjudice personnel qui devait être spécifiquement réparé. Dans la seconde affaire, la cour d’appel a suivi la jurisprudence de la Cour de cassation en considérant que la rente prévue devait être versée mais qu’il n’y avait pas lieu d’y adjoindre le versement d’indemnités liées aux souffrances physiques et morales, poste de préjudice déjà indemnisé par la rente.  

Pour quelles raisons la rente présente-t-elle une nature hybride pour la Cour de cassation ?

La  jurisprudence de la Cour de cassation retenant une nature hybride de la rente est liée à l’entrée en vigueur de la loi du 2 décembre 2006 relative aux recours des tiers-payeurs afin de leur assurer une réparation plus étendue. Ce recours concerne le droit commun et ne s’applique pas forcément aux accidents du travail et aux maladies professionnelles. Cependant, cette notion hybride a finalement conduit les magistrats à minorer l’indemnisation voire à supprimer l’indemnisation des souffrances physiques et morales considérant qu’elles étaient indemnisées par la rente. Je précise que les pertes de gains et l’incidence professionnelle liée à un accident du travail ou une maladie professionnelle sont intégrés de facto dans la rente qui vient réparer les conséquences physiques de l’accident dans la sphère professionnelle. Le principe de la rente est de permettre au salarié de continuer à vivre malgré le handicap inhérent à son incapacité professionnelle et de compenser sa perte de capacité de gains.

Quelles sont les retombées possibles pour les tiers-payeurs et les assureurs ?

La Cour de cassation rendra son arrêt demain vendredi 20 janvier. Il est difficile d’avoir des certitudes dans la mesure où ce dossier présente une dimension économique considérable. Toutefois, les tiers-payeurs (CPAM, mutuelles, assureurs ou institutions de prévoyance…) sont en première ligne ; l’arrêt rendu va déterminer l’assiette de leurs recours et les sommes qu’ils seront à même de récupérer. Le risque économique de la décision est réel pour eux. Pour les assureurs, l’arrêt aura certainement un impact sur le montant alloué au titre des souffrances physiques et morales. Mais le chiffrage et le risque financier sont difficilement quantifiables car ils relèvent de l’appréciation souveraine des magistrats.

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